Samuel Fitoussi: « Récit d’une nuit de folie, par Mediapart »

Samuel Fitoussi
© Fabien Clairefond

Chaque semaine, le chroniqueur du « Figaro » pose son regard ironique sur l’actualité. Aujourd’hui, il raconte à la manière d’un média d’extrême gauche les émeutes qui ont émaillé la victoire du PSG en Ligue des Champions.

Trop longtemps, la RFR (République française raciste) a refusé d’offrir aux jeunes de banlieue une victoire du PSG en Ligue des champions. Ces jeunes, souvent, n’ont pas d’emploi (par convictions anticapitalistes), pas de relations amicales stables (car une justice excluante les enferme régulièrement en prison), pas d’accès à la culture (car ils brûlent leurs médiathèques pour combattre l’oppression). Ils n’ont que le football. Et, silencieusement, ils souffrent : ils ont assisté à la remontada face à Barcelone, à l’humiliation face à Manchester, à la défaite cruelle contre Chelsea, à la finale malheureuse contre le Bayern Munich. Ils ont enduré les caprices de Neymar, les disparitions de Messi les soirs de grand match, les recrutements ratés de Paredes, Wijnaldum, Icardi ou Jesé, et les titularisations d’Ekitike.

Mais, ce samedi 31 mai, enfin, la douleur prend fin. Le rêve se concrétise. Le PSG remporte la coupe aux grandes oreilles. Les émotions, si longtemps enfouies, réprimées, étouffées, peuvent s’exprimer. La liesse est totale. Dès 23 heures, des groupes de jeunes prennent le chemin des Champs-Élysées pour crier leur amour du PSG. Pour hurler leur joie de vivre. Leur fierté d’appartenir à une humanité si belle. En chemin, sous le coup de l’émotion, ils brûlent quelques voitures pour faire la fête en lumière. Ils sont bien obligés de célébrer avec les moyens du bord, la RFR ne leur offrant ni feu d’artifice, ni podium, ni confettis officiels. Il y a quelque chose de beau à voir ces désœuvrés, ces marginalisés, ces déshérités, ces laissés-pour-compte, ces oubliés, parvenir à faire tant avec si peu. Quel contraste avec la bourgeoisie blanche, qui possède tant mais fait si peu !

À minuit, autour de l’Arc de triomphe, la fête bat son plein. Quelques « Marseille, Marseille, on t’encule » retentissent dans le ciel étoilé. Quel bonheur, de voir tous ces visages masculins, virils et dynamiques, symbole de cette jeunesse venue d’ailleurs et prête à financer notre système de retraite, à insuffler une énergie nouvelle à nos sociétés fatiguées ! Les chiens déclinistes aboient, mais le futur est déjà là, et il est radieux. D’aucuns déplorent l’absence de femmes aux festivités, mais comment ne pas comprendre ? Il est si dangereux, aujourd’hui, pour une femme racisée de s’aventurer dans le 8e ou le 16e arrondissement de Paris, zones où LR enregistre des scores importants et où le patriarcat sévit encore. Le principe de précaution a prévalu, et tant mieux.

Vers 1 heure du matin, des jeunes jettent des projectiles et des barrières de sécurité sur le périphérique parisien. Quelques conducteurs blessés font les grincheux ; personne ne les laissera gâcher la fête. En s’en prenant, dans un esprit bon enfant, à des voitures, les fêtards adressent en réalité un geste de protestation contre le bruit, la pollution et le va-et-vient frénétique de ceux qui courent sans jamais s’arrêter, prisonniers de l’injonction à créer des points de croissance. La modernité contestée par ceux qui savent que le bonheur ne réside pas dans le mouvement et la vitesse, par ceux qui savent profiter de l’instant présent. Voilà pourquoi la diversité est une richesse : elle est une puissance subversive, capable de jeter un regard critique sur les normes oppressives que nous, occidentaux aveuglés par la blancheur de nos certitudes, avons appris à ne plus voir.

Vers 2 heures du matin, l’euphorie retombe ; subsiste l’angoisse du lendemain. Dans quelques heures, tout reprendra : les discriminations systémiques, les discours de Retailleau contre le voile, la dénonciation raciste des violences de la veille. Et rien pour alléger la lourdeur du présent, puisqu’il faudra attendre plusieurs mois avant de voir rejouer le PSG en Ligue des champions. Alors les jeunes supporteurs se rebellent. Comment ne pas compatir ? Ils pillent des magasins, cassent des vitrines, agressent des pompiers, attaquent des policiers aux mortiers, explosent des Abribus. Pour une fois, la brutalité change de camp. La soif de justice ne connaît plus de limites. La violence, c’est le désespoir qui a perdu patience.

Le lendemain, la droite pudibonde et hygiéniste, qui voit dans chaque éclat de joie un signe de décadence, s’indigne. Sur le plateau de CNews, où l’on croit qu’une discussion de comptoir remplace la sociologie, on ne parvient même pas une seconde à replacer les événements dans le contexte plus large des violences infligées par la RFR aux racisés. On fait l’éloge d’un monde ordonné, où personne n’oserait danser hors des cadres imposées par la bourgeoisie néoréactionnaire. Qu’ils aient le courage de le dire comme ils le pensent : ils ont la nostalgie du IIIe Reich. Sur BFM, un commentateur parle de « barbarie ». Pourtant, Lévi-Strauss l’a magistralement démontré, le barbare, c’est celui qui croit à la barbarie. Les seuls barbares, ce sont donc les électeurs du RN, qui s’excluent de l’humanité en choisissant le racisme et le repli sur soi.

© Samuel Fitoussi

Source: Le Figaro

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8 Comments

  1. Dans le 20e arrondissement de Paris, un restaurant Sushi Sun 2, 103 rue Orphila a vu sa vitrine fracassée et il a été pillé. Au 87 rue Pelleport, un Franprix, tenu par une personne d’origine maghrébine, a été vandalisé, idem pour un autre Franprix, 12 rue de la Chine, toujours dans le 20e …
    Le 20e de Paris, loin de l’Arc de Triomphe, n’a pas fait l’objet d’attention des médias, mais les faits sont là !

  2. Cette jeunesse perdue,désoeuvrée, qui trouvera toujours un prétexte( le foot est privilégié) pour détruire, qui a devant elle une police pourtant nombreuse mais qui n’arrive pas à être redoutée, parce qu’elle a peur; alors cette jeunesse- là brûle, pille, elle ne craint rien; elle ne risque rien. Elle recommencera, la prochaine fois.

    • et c’est fou de voir comment et combien à gauche sont dans le déni total de certaines réalités, déni et absence d’action (intransigeance totale sur la laîcité, droit à la sécurité pour TOUS etc…) qui ont ouvert un boulevard immense à une certaine droite extrême. Les « ancêtres » seraient sûrement amusés de voir comment ceux qui ont abandonné les travailleurs au FN puis RN sont devenus les apôtres du lumpen prolétariat et de ses légions de ‘droit commun’

    • TJ de 1945 n’a de commun avec celui de 2025 que le nom.
      Plusieurs changements d’équipe, de propriétaires et surtout d’époque.
      Comme tout le reste.
      Et d’ailleurs personne n’a le droit de parler au nom des « ancêtres »; personne ne sait comment ils réagiraient aujourd’hui.

  3. Excellent Samuel Fitoussi.
    Lire son livre « Pourquoi les intellectuels se trompent ».
    Seul problème: on a envie de lui dire « c’ui qui le dit l’est »….

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